Le 7 mars 2016, le législateur a adopté la loi n°2016-274 relative au droit des étrangers. Modifiant considérablement le code de l’entrée et du séjour des étrangers, cette réforme a un impact significatif sur la situation des couples binationaux en France.
La loi est entrée pleinement en vigueur le 28 octobre 2016 à travers son décret d’application, nous laissant à présent face à un potentiel de nouvelles pratiques administratives que les juges mettront plusieurs mois à rectifier.
A retenir parmi les mesures affectivement directement ou non les couples binationaux :
– La suppression de l’article L.211-1 listant les obligations de motivation de refus de visa a pour conséquence une obligation de motivation générale en droit et en fait (selon l’art L.211-1 du code des relations entre le public et l’administration). En pratique, la motivation de refus de visa est standardisée et remise sous forme d’un formulaire avec « case motif » cochée.
– L’article L.211-2-1 est profondément modifié, tous les visas de long séjour valent titre de séjour (VLS-TS) en France (cf art R.311-3), le VLS-TS « conjoint.e de Français.e » est délivré de plein droit (mention symbolique) et dans les meilleurs délais. Le « pré-CAI » (tests de langue et production de l’attestation de suivi de formation) est supprimé dans les délégations OFII consulaires et est remplacé par la remise d’un document d’information sur la France (le pays, la société, les droits et les devoirs).
– L’article L.311-9 instaure un nouveau dispositif d’intégration à l’arrivée en France : le « contrat d’intégration républicaine ». Il comprend la signature du contrat d’intégration républicaine par lequel l’étranger s’engage à suivre un certain nombre de formation (civiques et linguistiques), l’accompagnement de l’OFII est alors « personnalisé ». L’ensemble de ces formations est pris en charge par l’Etat. Le respect du CIR et le suivi des formations est indispensable à la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle.
– L’article L.313-12 prévoit le renouvellement de plein droit de la carte de séjour temporaire (CST) des personnes victimes de violences familiales ou conjugales en situation de rupture de communauté de vie, sous réserve de la preuve rapportée par tout moyen des violences subies. En pratique la preuve reste difficile à apporter en l’absence de condamnation pénale ou mesure de protection.
– Les articles L.313-17 et -18 prévoient la délivrance d’une carte de séjour pluriannuelle (CSP) au ressortissant étranger qui en fait la demande, sous réserve du respect des conditions de délivrance suivantes : respect du CIR + continuer de remplir les conditions de délivrance de la CST précédente + ne pas exprimer de « rejet des valeurs essentielles de la société françaises ».
Elle n’est cependant que de 2 ans pour les cartes mention « vie privée et familiale » des étranger.es conjoint.e de français.e, parents d’enfant français, ayant des liens privés et familiaux autres (PACS, concubinage, etc.) et bénéficiant d’une protection subsidiaire (au lieu de 4 ans pour le passeport talent par notamment).
– L’article L.313-19 indique que si la délivrance de la CSP est possible en changement de statut, elle ne l’est cependant pas du statut VPF vers salarié, obligeant alors le demandeur à revenir à une CST et à de nouveau précariser dangereusement sont séjour.
– L’article L.314-9 réinstaure la délivrance de la carte de résident (10 ans) de plein droit pour les conjoints.es et parents de Français.es après des années de délivrance discrétionnaire et aléatoire, sous réserve de satisfaire les conditions générales de délivrance de la carte (intégration, maîtrise du français, etc., cf art L.314-2 à 5), auxquelles s’ajoutent à Mayotte des conditions de ressources de manière totalement discriminatoire.
– L’article L.313-5-1 établit en revanche une lourde contrepartie à la délivrance des CST et CSP : un contrôle à tout moment de l’actualité du droit au séjour du titulaire du titre. Motivée par une politique stigmatisante de lutte contre la fraude, les pouvoirs des préfectures sont étendus pour vérifier la véracité et l’exactitude des déclarations des demandeurs ainsi que l’authenticité des pièces justificatives fournies. Au moment du renouvellement ou en cours de validité de la carte, les contrôles seront ciblés et n’auront pas à être motivés. Le constat d’une irrégularité pourra avoir pour conséquence le refus de renouvellement du titre ou le retrait. Ces décisions de refus/retrait seront motivés par : ne remplit plus les conditions de délivrance (la charge de la preuve repose entièrement sur le titulaire de la carte), fait obstacle aux contrôles, ne défère pas aux convocations (plusieurs entretiens possibles).
Ce régime particulièrement symptomatique de la mainmise de l’administration sur la vie privée des titulaires de titre de séjour fait peser sur leurs épaules le spectre d’un changement de vie brutal et inopiné. Pour mettre en œuvre ce contrôle les services préfectoraux bénéficient désormais d’un droit de communication auprès d’autres organismes, s’immisçant ainsi dans quotidien des personnes étrangères avec des attentes complètement normatives et déconnectées de la réalité des parcours de vie.
L’article L. 611-12 explicite les modalités de recueil de l’info auprès des personnes privées et publiques : seul le secret médical reste opposable ; les services d’état civil, la Direccte, la sécurité sociale, pôle emploi, les établissements scolaires et d’enseignement supérieur, les fournisseurs d’énergie et télécommunication, les établissements de santé publics et privés, les banques et organismes financiers, et les greffes des tribunaux de commerce pourront être solliciter pour comparer directement à la source. Ce dispositif concerne les instructions de première demande et de renouvellement des APS, CST, CSP et CER, ainsi que les contrôles prévus à l’art L.313-5-1.
– Les articles L.511-1 et L.512-1 modifient quant à eux de manière assez complexe le régime de l’éloignement des étrangers. Pour les couples binationaux les répercussions sur les projets de vie à deux peuvent être dramatiques. En passant à côté d’un délai de recours trop bref, le contrôle après une OQTF non exécutée entraine la prise d’une mesure d’interdiction de retour sur le territoire de plusieurs années après un éloignement d’office, ce scénario bien ficelé désormais orchestré par le ceseda, risque de conduire de nombreux couples à la séparation forcée !
Lorsqu’une OQTF est prise avec un délai de départ volontaire de trente jours, le délai de recours passe désormais à 15 jours si la personne était entrée irrégulièrement sur le territoire, s’était maintenu au-delà de son droit de circulation court séjour ou de son titre sans en demandé le renouvellement ou si elle a été débouté de sa demande d’asile, ce qui concerne dans les fait énormément de personnes ! Le recours est alors jugé en 6 semaines par un juge unique sans rapporteur public (cf article L512-1 I 1°2°4°6°).
Lorsqu’une OQTF est prise sans délai de départ volontaire, si elle n’est pas assortie d’une mesure de placement en rétention ou d’assignation à résidence, le délai de recours est de 15 jours dans les mêmes conditions que précédemment. Mais lorsqu’une mesure de placement en rétention ou d’assignation à résidence est prise, le délai de recours passe dans tous les cas à 48h même si l’OQTF prévoyait initialement un délai de départ volontaire.
Toute OQTF sans délai de départ volontaire ou constat qu’une OQTF n’a pas été spontanément exécutée dans le délai imparti, donne lieu à une interdiction de retour sur le territoire français (IRTF) de un à trois ans, sauf si des « circonstances humanitaires » justifient qu’elle ne soit pas prononcée.
Une IRTF peut également être prononcée dans toute autre situation pour 2 ans maximum. Le délai de recours contre l’IRTF est calé sur le délai de recours de l’OQTF qu’elle assortit ou à défaut de 15 jours. L’IRTF peut être exécuté d’office par l’administration pendant toute sa durée sans qu’il soit besoin d’une nouvelle OQTF. Cette mesure implique automatiquement une inscription au fichier SIS II, elle est donc valable pour tous les Etats de l’espace Schengen. C’est une véritable mesure punitive pour toute personne qui ne se serait pas conformé ou qui aurait tenté de se régulariser en vain !!
Les Amoureux au ban public, qui n’ont vu aucune de leurs revendications satisfaites par la nouvelle loi exceptée le retour de la carte de résident de plein droit et la fin du « pré-CAI », resterons donc attentifs à ce que cette loi en demi teinte, à la fois créancière et punitive, ne dégrade pas d’avantage la situation de précarité et d’incertitude que vivent déjà de nombreux couples binationaux assénés de propos suspicieux lors de contrôles, soumis à des exigences de preuves arbitraires et démesurées, et aux aléas liés aux pratiques administratives.
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