Aujourd’hui 1er juin a lieu l’audience de Tiago et Lucia au tribunal administratif de Paris. Ils ont fait un recours pour savoir si Tiago, le conjoint de Lucia, pourra ou non s’installer sur le territoire français. Tiago a décidé de ne pas venir car il était particulièrement nerveux. Juliette, la coordinatrice juridique des Amoureux au ban public, accompagne Lucia.
Après des études de musique à Paris, Lucia a décidé de s’installer durablement en France. Depuis elle donne des cours de piano à domicile et développe des ateliers musicaux. Elle a rencontré Tiago, originaire du Brésil, avec le temps leur relation a muri et ils ont décidé de se marier.
Les revenus de Lucia sont faibles et irréguliers, selon la préfecture de police, son séjour sur le territoire n’est pas justifié. En pratique, les choses sont différentes, il n’est pas envisageable d’expulser un citoyen européen. Cependant c’est sur ce motif que la justice administrative entend accorder ou non à Tiago un titre de séjour. En effet pour qu’il puisse l’obtenir, Lucia doit justifier elle-même son droit au séjour par l’exercice d’une « activité professionnelle principale et effective », à savoir selon l’interprétation actuelle de l’article L.121-1 du CESEDA par la justice administrative, une activité dont elle tire « les revenus suffisant » lui permettant de ne pas être une charge pour le système social français.
On en est là pour le séjour des couples européen–étranger en France, le couple est opérateur économique contributif, sinon qu’il reste ailleurs.
Au tribunal administratif de Paris
Jambes nouées, peut-être que l’estomac l’est aussi. Ça rigole, mais le cœur n’y est pas. Il y a quelque chose de lourd, comme lors des grands jours. Mais aujourd’hui n’a rien de grand, il est important mais méprisable. Dans quelques instants l’audience de Tiago et Lucia au Tribunal administratif de Paris commence.
Elle s’inquiète, se demande si l’absence de Tiago leur sera préjudiciable. Elle se renseigne, essaye de savoir, de comprendre, de prédire. Elle est espagnole, et pour rester en France, il lui faut jouir d’un certain revenu, la présence de son conjoint sur le territoire est elle aussi indexée sur les gains de Lucia.
Elle est comme résignée. Le faire pour le faire. Dans le fond elle sait déjà, elle espère avoir tort, mais elle sait.
On peut sentir chez elle comme une sorte d’indifférence. Une absence de vigueur, après des mois passés à attendre et à accumuler des pièces administratives et des bouts de papiers en tout genre, il ne reste plus rien, si ce n’est une sorte de dégoût. Les soutiens sont là, mais elle est toute seule. Toute seule au milieu de ses problèmes. Ça n’a rien de simple, les autres imaginent et comprennent, mais c’est tout.
Dans la cour du tribunal administratif, pour les autres la vie continue, il fait beau, le ciel et bleu et le soleil haut.
Il y a des policiers. Parmi eux un moustachu à lunette, clope électronique au bec, il est à quelques années de la retraite. Il y a aussi un jeunot, coupe carrée, concentré sur son sandwich, son regard est intense, peut-être qu’il cherche derrière une feuille de salade la réponse à une question importante. Il y en a encore d’autres, ils sont là dans la cour, par groupe de trois, en apparence ils n’ont pas l’air de faire grand-chose, ils discutent.
Des avocats en robe vont et viennent, pendus au téléphone ou happés par les feuilles volantes d’un dossier parmi tant d’autres.
De l’extérieur à travers la fenêtre on voit la salle d’audience, elle est vide, elle nous attend…
Avant d’entrer dans la salle d’audience, on passe par une salle d’attente, elle est découpée en petites cabines. Trois plaques de verre, un mur, rien pour couvrir ou arrêter le son des voix, au centre de la cabine une table et quelques chaises. L’intimité selon la justice.
L’avocate discute avec Lucia, elle lui explique ce qu’elle va dire durant l’audience, elle la rassure et essaye d’évoquer les réactions possible du tribunal. Elle lui dit que les juges ne seront pas surpris de l’absence de Tiago, qu’ils ont l’habitude de ce genre de chose, mais que venir n’aurait pas été du luxe.
Quand on entre dans la salle d’audience le parquet grince, impossible d’être discret, on se sent aussi coupable qu’un cambrioleur dans un vieil hôtel particulier parisien.
Sur le mur de droite, une grande toile, elle n’est pas vraiment belle, mais ce n’est pas vraiment grave. Deux ventilateurs tournent à plein régime, mais rien à faire, l’air est pesant. Il fait chaud. La salle est vide. On attend.
L’audience reprend, la greffière ouvre la porte et annonce l’entrée du tribunal.
Ils sont quatre, deux quinqua et deux quadras. Ils sont gris, des pieds à la tête.
La greffière annonce l’affaire. L’assesseur de droite l’expose…L’avocate va à la barre, avant même qu’elle commence celui de gauche est déjà perdu dans ses pensées.
Le rapporteur publique se lève et lit. Vite, beaucoup trop vite. Peut-être qu’il espère relancer à lui tout seul la machine judiciaire française. Quoiqu’il en soit, il est difficile de le comprendre et de le suivre. Ce qu’il en ressort c’est que Lucia à une activité professionnelle marginale. Et qu’elle est donc une charge pour la France, car son revenu est complété d’une aide de l’Etat.
Après au moins cinq bonnes minutes de maltraitance envers la ponctuation, le rapporteur public s’arrête, et reprend son souffle. Dans une articulation parfaite, lente et mesurée, il annonce : « Conclusion rejet de la requête ».
L’avocate commence sa plaidoirie, elle bafouille mais avec ferveur, elle n’est pas très à l’aise. Elle pointe du doigt le fait que malgré les faibles revenues de Lucia, et « l’instabilité » de son activité professionnelle, celle-ci est réelle. Depuis 2007 Lucia est en recherche constante de nouveaux élèves et travaille à l’accroissement de son activité.
A ce stade, tout s’interprète comme une forme de désaccord. Le juge du milieu qui prends des notes avec un stylo rouge et dont le visage traduit la réflexion mouvementée qui a lieu dans sa tête, l’assesseur de gauche qui croise les bras et recule sur son siège.
L’avocate, conclut, elle se répète dans l’espoir de voir les idées qu’elle a développées s’incruster dans l’esprit des juges.
L’audience est finie. Tout le monde sort. Juliette, Lucia et l’avocate discutent et pronostiquent, pointe les points positifs et les points négatifs de la prestation de l’avocate.
Lucia a le visage fermé, il n’est plus question de sourire, encore moins de rire, faire bonne figure n’importe plus vraiment maintenant. Il suffit d’attendre, un mois, un long mois, durant lequel Tiago et elle devront continuer à vivre comme si de rien n’était et se préparer pour un éventuel appel.
Le recours de Lucia et Tiago ainsi que l’intervention volontaire des ABP ont été rejetés le 15 juin 2015. Ils ont interjeté appel devant la Cour administrative d’appel de Paris, et l’association continue de soutenir le couple.
Lahoucine, volontaire en service civique.
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