L’année passée, les deux témoignages de Florian Julien, confronté à « l’administration de la honte » à Antony (Hauts-de-Seine), publiés sur Rue89, m’ont beaucoup touché. Je voudrais à mon tour vous partager une expérience similaire dans la sous-préfecture de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine).
C’est la troisième année que ma femme, avec mon aide, tente de renouveler son titre de séjour : je suis français, elle est américaine. Il y a trois ans, elle a obtenu sa mutation professionnelle sur Paris pour que l’on puisse vivre ensemble. Nous étions tous le deux en CDI et propriétaires de notre logement – autrement dit, dans une situation qui nous semblait confortable. Mais malgré cela, un visa de travail était trop lourd à obtenir. Etant Français, nous avons préféré faire une demande de titre de séjour pour « rapprochement familial ».
Chaque année, il faut commencer par prendre rendez-vous pour faire la demande de titre de séjour : comme la plupart des villes françaises, notre commune ne permet pas la prise de rendez-vous en ligne. En théorie, il est possible de le faire par téléphone, dans la réalité, les fonctionnaires de la préfecture ne le décrochent plus. Résultat ? Tout le monde se déplace.
Jamais sans mon carton de documents
Premier arrivé, premier servi : réveil aux aurores, donc, pour venir faire la queue dehors dans le froid (qu’il pleuve ou qu’il neige). Il faut penser à se munir d’une feuille et d’un stylo, pour que chacun note son nom et son ordre d’arrivée, sinon ce sera la loi du plus fort. Même quand vous êtes enceinte de six mois – comme c’était le cas de ma femme lors du dernier renouvellement. Visiblement, la préfecture défend l’égalité pour tous.
Démenti de la sous-préfecture : Après avoir fait la queue environ trois heures, on obtient enfin votre rendez-vous… deux mois plus tard ! Mieux vaut ne pas être pressé.
Deux mois plus tard donc, rebelote : réveil aux aurores pour recommencer à faire la queue. Y compris quand le rendez-vous est à 9 heures : plusieurs dizaines de personnes ont rendez-vous, et il n’y a qu’entre un à six guichets ouverts (variable selon les RTT et congés maladies). Quand notre tour arrive, la fonctionnaire nous appelle. N’attendez ni humanisme, ni flexibilité de sa part. Ce n’est pas son boulot : ces agents semblent être au service de leur employeur, pas à celui du peuple.
On commencera par vous demander toute une série de papiers. Un conseil : ne jamais se fier à la liste de documents que l’on vous donne lors de la prise de rendez-vous, ni à celle du site Internet de la préfecture (elles sont d’ailleurs toutes les deux différentes). La première année, il nous manquait un document (qui ne figurait sur aucune liste), nous avons donc du recommencer, deux mois plus tard. Ma femme et moi avons donc retenu la leçon : nous ne nous déplaçons jamais sans notre carton de documents originaux, tous accompagnés de leur photocopie respective.
Le dossier est « perdu » chaque année
Une fois la procédure terminée, on nous indique que l’on reçoit un courrier pour venir chercher le titre une fois prêt. Vous pourrez alors refaire la queue pour venir le retirer. Il faut compter généralement, au mieux, deux mois de plus.
Au mieux, car il y a plus dramatique. Chaque année, nous ne recevons ce fameux courrier. Parce que TOUS LES ANS, ils perdent notre dossier. A chaque fois, retour à la case départ. Cette année, lorsqu’ils ont perdu à nouveau notre dossier, ils n’ont pas voulu s’occuper de ma femme en priorité, malgré ses six mois de grossesse : elle n’avait pas la « carte famille de priorité ». La taille de son ventre ne suffisait apparemment pas.
Vingt heures de démarches par an
Au total, c’est près de vingt heures de démarche chaque année (avec le temps de transport)… C’est donc aussi du salaire en moins pour chacun – nous n’avons jamais réussi à justifier à nos employeurs respectifs ces absences répétées.
Je dis « chacun », car moi aussi je dois être présent chaque année. Je dois attester que nous sommes toujours mariés et que nous vivons sous le même toit sous le régime de la monogamie. Il y a bien cette circulaire officielle de 2002 pour la « simplification des démarches administratives » qui m’autorise à ne pas me déplacer si je présente une attestation écrite sur l’honneur.
Mais non : ces fonctionnaires ne connaissent pas la circulaire (que nous avions imprimé) et n’ont donc pas voulu la recevoir… Certes, nul n’est censé ignorer la loi, mais cette règle ne s’applique apparemment pas pour tout le monde.
Côté calendrier, le renouvellement du titre de ma femme est en décembre mais habituellement, nous finissions par l’obtenir en juillet. Cela dit je m’avance peut-être un peu : nous sommes en juillet et nous n’avons toujours pas reçu le fameux courrier indiquant que le titre est prêt. Ce sera donc plutôt pour août ou septembre…
Dire qu’il faudra recommencer trois mois plus tard. Car oui, même si le titre est valable un an, la date d’expiration n’est pas décalée s’il y a un retard dans la délivrance. Chaque année, nous avons donc un titre pour six mois, puis en moyenne trois récépissés de deux mois qu’on nous renouvelle. Quel gâchis de temps et d’argent pour l’Etat !
Je ne sais pas si c’était le but recherché, mais ils ont gagné : nous quittons ce pays qui ne veut pas de nous. Nous irons créer de la croissance et des emplois ailleurs. Je refuse d’être traité comme du bétail.
J’ai vécu dans six pays différents et aucun ne nous a traité ainsi : la rigidité bureaucratique, l’absence de conscience professionnelle et l’important absentéisme des fonctionnaires de cette administration ont eu raison de nous.
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